Page:Moréas - Esquisses et Souvenirs, 1908.djvu/99

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et que félicité. C’est le printemps, c’est le printemps ! Mais quoi ! n’est-ce pas, en vérité, que les sons de l’instrument divin raillent à présent ?

Le dieu Pan, avec une moue, jette enfin à ses pieds cette première syrinx.

Alors le dieu prend la seconde des quatre syrinx suspendues au rameau flexible et il se remet à souffler. Le paysage change à vue d’œil : les fleurs languissent et leur parfum s’évapore ; les corymbes se nouent sur les branches ; les eaux commencent à tarir sous le ciel nu et brûlant. Toute la nature semble assoupie. Et l’homme pense avec satisfaction que c’est l’été de la vie, plein de vigueur et de sécurité.

Pan ne tarda pas à jeter à ses pieds cette seconde syrinx avec une moue plus dédaigneuse encore.

Le dieu marcha alors nonchalamment vers le rameau flexible et prit la troisième syrinx. Il l’anima de son souffle sans se presser. Un son en sortit, qui n’était ni allègre follement ni présomptueux sans raison, mais doux et mélancolique. Et l’automne naquit avec la sérénité de ses eaux, avec sa flore et ses feuillages modérés, avec la philosophie de son beau ciel et l’ironie charmante de ses vendanges. L’homme but le vin goulûment, mais l’automne lui parut fade. Car il s’était égaré depuis longtemps loin de la mesure et de la vérité.