Page:Moréas - Les Premières Armes du symbolisme, 1889.djvu/34

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entendre aujourd’hui ce qu’ils entendaient hier : mêmes idées, mêmes expressions, mêmes sens ; tout ce qui est nouveau leur semble ridicule ; tout ce qui est inusité, barbare. » Je cite ces paroles avant d’aller plus loin, car elles me paraissent, malgré leur date, d’une piquante actualité.

Le courrier que M. Bourde consacre aux poètes prétendus décadents dénote en maints endroits, et malgré un badinage inutile et un peu lourd, une louable conscience littéraire ainsi qu’une certaine compréhension du sujet traité, compréhension, il est vrai, latente plutôt et quasi timorée. Mais M. Bourde a eu un grave tort, c’est de prêter une oreille trop complaisante à des racontars quelque peu fantaisistes. C’est pourquoi il a pu écrire : « La santé étant essentiellement vulgaire et bonne pour les rustres, il doit être au moins névropathe. Si la nature aveugle s’obstine à faire circuler dans ses veines un sang banalement vigoureux, il a recours à la seringue Pravaz pour obtenir l’état morbide qui lui convient. » Et plus loin : « Il est catholique. D’abord si l’on n’avait pas de Dieu, il serait impossible de le blasphémer et de pimenter ses plaisirs par l’idée du péché. Ensuite sans Dieu, on ne saurait avoir Satan ; et, sans Satan, il est impossible d’être satanique, ce qui est essentiellement de la manière d’être du décadent. » Que M. Bourde se rassure ; les décadents se soucient fort peu de baiser les lèvres blêmes de la déesse Morphine ; ils n’ont pas encore grignoté de fœtus sanglants ; ils préfèrent boire dans des verres à pattes, plutôt que dans le crâne de leur mère-grand, et ils ont l’habitude de travailler durant les sombres nuits d’hiver et non pas de