Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, I.djvu/128

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dans le langage, firent oublier les familiarités souvent indécentes, qu’on se permettait dans les réunions du Directoire.

Au milieu d’une multitude de travaux intérieurs, tous utiles et de la plus haute importance, Bonaparte conclut un traité de paix avec les États-Unis d’Amérique. À cette occasion, il ordonna un deuil public en mémoire de Washington, le fondateur de la république américaine, et il fit célébrer en son honneur une cérémonie funèbre dans l’église des Invalides. Vers le même temps, il donna une constitution nouvelle à la Suisse, dont il prit sans obstacle le titre de médiateur.

Cependant une coalition redoutable, dont faisaient partie l’Angleterre, l’Autriche, la Bavière, la Porte, armait de nouveau contre la France. Toutes les forces de la République n’excédaient pas 150.000 hommes ; elle ne possédait rien en Italie ; mais, à la voix du premier Consul, la nation s’émeut, et en peu de temps elle fournit au gouvernement, spontanément et sans contrainte, une nouvelle armée de 100.000 hommes et de 40.000 chevaux, traînant une artillerie des plus formidables. Atin de détourner l’attention générale qui se portait sur le Var, défendu par Masséna avec 25.000 hommes, et que menaçait Mêlas, victorieux, à la tête d’une armée de 150.000 combattants, bien approvisionnés de tout, le premier Consul indiqua Dijon pour rendez-vous de l’armée, dite de réserve. Cette position, également éloignée de Bâle, Martigny et Chambéry, était bien choisie pour maintenir l’Autriche, et lui faire prendre le change.

Moreau commande l’armée du Rhin, dont l’aile droite occupe la Suisse, ce qui peut faire croire que les Français ont l’intention de se porter d’abord sur l’Allemagne, et de retourner plus tard en Italie, ou pour le moment ils ont des forces nulles ou insignifiantes. Tandis que Moreau, comme il en avait reçu l’ordre, tient en échec le général autrichien Kay, et l’isole tout à coup du général Mêlas, en occupant les défilés de la forêt Noire, Bonaparte va prendre le commandement de l’armée dite de réserve, qui déjà s’était rendue à Genève. Là, il prend la résolution de porter la guerre sur le Pô, entre Milan, Gênes et Turin. Il était du plus grand intérêt de surprendre Mêlas et de tomber sur ses derrières avant qu’il n’eût réuni toutes ses forces sur un même point ; il fallait donc franchir les Alpes à l’improviste et comme à la dérobée. En conséquence, la route de l’armée est ordonnée par des chemins ardus, jusque-là impraticables pour la plupart des hommes. Sous les regards de Bonaparte, tout devient facile : les rochers escarpés, des glaces éternelles, des défilés situés à 2.500 mètres au-dessus du niveau de la mer, livrent passage, par ses conseils et ses soins, aux soldats, à la cavalerie, aux bagages et à l’artillerie. Annibal, dans sa fameuse expédition contre les Romains, n’avait rien tenté de plus hardi.

Mêlas était encore sur le Var quand les divisions françaises descendaient les revers du Saint-Gothard, du Simplon, du Saint-Bernard. L’armée était à peine en Italie que la ville d’Aost est enlevée, après une vive résistance, par l’avant-garde. La garnison se réfugia dans le fort de Bard, qui fermait l’unique chemin par où devait passer l’armée : il était de la plus grande importance de prendre ce fort avant que Mêlas ne fût instruit de la marche du premier Consul, et afin de s’emparer des débouchés des vallées. Pour le moment, le fort résista ; alors le général français imagina ce stratagème : il fit envelopper de foin les roues des chariots de l’artillerie, et couvrir la route