Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/128

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souffraient de ses libéralités ; il se reprochait sa bonté, la taxant de vanité, de désir de passer pour un prince déguisé, se promettant de ne plus recommencer. Mais, dès que le premier venu se présentait à lui, comme une victime de l’adversité, il perdait tout de vue pour voler à son secours. Pourtant il avait fait une expérience, bien amère, des suites de cette vertu poussée à l’excès par lui. Huit jours avant la naissance de son petit Max, il n’avait pas de quoi acheter le berceau en fer où son chéri devait reposer ; et peu de temps avant, encore, il venait de sacrifier les derniers bijoux de sa femme pour assister quelqu’un qui, certes, était dans une meilleure position que lui.

Or, à son arrivée à Lebac, tout cela était déjà oublié. Ils avaient pris, l’âme tranquille, possession de la demeure où ils espéraient vivre en paix, quelque temps. Ils avaient commandé à Batavia des meubles confortables. Ils se montraient gaîment la salle à manger, la salle de jeux du petit Max, la place de la bibliothèque, le salon où, le soir, il ferait à Tine, la lecture, de ses élucubrations journalières.

Mais oui… Havelaar jetait chaque jour ses idées sur le papier : „ Tout cela sera imprimé un jour, disait Tine, et alors on verra ce que c’est que mon Max ! ” En attendant, jamais il n’avait fait mettre sous presse ce qui se passait en lui, retenu qu’il était par un scrupule touchant à la candeur. Il ne savait pas mieux définir ce scrupule, qu’en demandant à ceux qui l’encourageaient à publier son œuvre :

— „ Laisseriez-vous marcher votre fille, sans chemise, dans la rue ? ”

C’étaient ces boutades-là qui faisaient dire à ceux de son entourage :