Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Mélanges de littérature et de critique.djvu/395

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passé quelque temps à Morlaix, dans la maison d’un examinateur de la marine qui lui était devenu, comme tous, un ami, il reprit bientôt ses travaux. D’abord ingénieur hydrographe, envoyé en cette qualité pour lever le plan de Saint-Jean de Luz, celui du Passage, en Espagne, et d’une partie des côtes adjacentes, il revint ensuite à Paris vers l’année 1797. Il fit ce voyage, la plupart du temps poétiquement à pied, comme on disait alors, libre et heureux, toujours poursuivi par le refrain de quelque chanson qui se mêlait à ses calculs ; car la muse impatiente qui l’accompagnait n’attendait qu’un instant propice pour s’emparer de sa vie entière.

Cette occasion allait se présenter. Il venait de passer, à son retour, dans les cadres du génie militaire ; mais il avait, en fait, quitté le service. La révolte de Saint-Domingue, inaugurée par Toussaint-Louverture et couronnée par l’incendie et les massacres de 93, avait apporté un dommage sensible dans la fortune de la famille Dupaty. Vainement Auguste, l’un des quatre frères, s’était condamné à un long exil pour tenter de recueillir les restes de cette fortune ; son courage patient, pour toute récompense, ne devait trouver que les coups de poignard de quelques monstres désenchaînés. Il y mourut. Emmanuel, alors âgé de vingt-deux ans, insouciant de l’avenir, à demi dégoûté du sang des batailles par celui qui avait coulé sur les échafauds, presque indifférent, s’il avait pu l’être, et se voyant appauvri sans chagrin, prenait sa part de ce vaste repos où