Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/344

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de cette poésie-là, parce que, chez eux, le cœur manquant, elle ne saurait y éveiller d’écho. C’est une pierre de touche qui ne trompe jamais : « Dis-moi quel poète tu aimes ou n’aimes pas, et je te dirai qui tu es. »

Alfred de Musset ne s’est pas contenté d’être sincère ; il a toujours voué au mensonge une haine vigoureuse. Toutes les fois qu’il le rencontra sur son chemin, — et pour son malheur il le vit de près bien souvent, — il lui rompit en visière. Il pouvait tout excuser, tout pardonner, hormis la tromperie. Jamais il n’a distribué aux rimeurs sans talent qui lui envoyaient leurs vers ces éloges complaisants qui, de sa part, auraient été pris pour des encouragements, et qui auraient pu jeter de pauvres jeunes gens dans la voie dangereuse au terme de laquelle sont les déboires d’une fausse vocation. S’il eût commis cette cruauté dont tant d’autres ne se font pas scrupule, c’eût été pour lui un sujet de remords. Les menteurs l’avaient rendu défiant ; bien qu’il ait appelé la Défiance « un mauvais génie venu en lui, mais qui n’y était pas né », l’expérience lui avait appris le soupçon. Il méprisait l’espèce humaine ; mais quiconque lui parlait deux fois seulement pouvait se dire son ami ; il n’y avait pas d’homme plus facile que lui à séduire, pas de cœur plus prompt à s’ouvrir que le sien. Quelques avances, quelques signes de sympathie suffisaient pour obtenir de lui tout ce