Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/268

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s’est épuisée à se creuser, lasse d’un travail inutile, elle s’arrête épouvantée. Il semble que l’homme soit vide, et qu’à force de descendre en lui il arrive à la dernière marche d’une spirale. Là, comme au sommet des montagnes, comme au fond des mines, l’air manque, et Dieu défend d’aller plus loin. Alors, frappé d’un froid mortel, le cœur, comme altéré d’oubli, voudrait s’élancer au-dehors pour renaître ; il redemande la vie à ce qui l’environne, il aspire l’air ardemment, mais il ne trouve autour de lui que ses propres chimères qu’il vient d’animer de la force qui lui manque, et qui, créées par lui, l’entourent comme des spectres sans pitié.

Il n’était pas possible que les choses continuassent longtemps ainsi. Fatigué de l’incertitude, je résolus de tenter une épreuve pour découvrir la vérité.

J’allai à la rue Jean-Jacques-Rousseau et demandai des chevaux de poste pour dix heures du soir. Nous avions loué une calèche, et j’ordonnai que tout fût prêt pour l’heure indiquée. Je défendis en même temps qu’on en dît rien à madame Pierson. Smith vint dîner ; en me mettant à table, j’affectai plus de gaîté qu’à l’ordinaire, et, sans les avertir de mon dessein, je mis l’entretien sur notre voyage. J’y renoncerais, dis-je à Brigitte, si je pensais qu’elle l’eût moins à cœur ; je me trouvais si bien à Paris que je ne demandais pas mieux que d’y rester tant qu’elle le trouverait agréable. Je fis l’éloge de tous les plaisirs qu’on ne peut trouver que dans cette ville ; je parlai des bals, des théâtres, de tant d’occasions de se distraire qui s’y rencontrent à chaque pas. Bref, puisque nous étions heureux, je ne voyais pas pourquoi nous changions de place, et je ne songeais pas à partir de sitôt.

Je m’attendais qu’elle allait insister pour notre projet