Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/269

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d’aller à Genève, et, en effet elle n’y manqua pas. Ce ne fut pourtant qu’assez faiblement ; mais, dès qu’elle en eut dit les premiers mots, je feignis de me rendre à ses instances ; puis, détournant la conversation, je parlai de choses indifférentes, comme si tout eût été convenu.

« Et pourquoi, ajoutai-je, Smith ne viendrait-il pas avec nous ? Il est bien vrai qu’il a ici des occupations qui le retiennent, mais ne peut-il obtenir un congé ? D’ailleurs les talents qu’il possède, et dont il ne veut pas profiter, ne doivent-ils pas lui assurer partout une existence libre et honorable ? Qu’il vienne sans façon ; la voiture est grande, et nous lui offrons une place : il faut qu’un jeune homme voie le monde, et il n’y a rien de si triste à son âge que de s’enfermer dans un cercle restreint. N’est-il pas vrai ? demandai-je à Brigitte. Allons, ma chère, que votre crédit obtienne de lui ce qu’il me refuserait peut-être. Décidez-le à nous sacrifier six semaines de son temps. Nous voyagerons de compagnie, et un tour en Suisse avec nous lui fera retrouver avec plus de plaisir son cabinet et ses travaux. »

Brigitte se joignit à moi, quoiqu’elle sût bien que cette invitation n’était qu’une plaisanterie. Smith ne pouvait s’absenter de Paris sans danger de perdre sa place, et il nous répondit, non sans regret, que cette raison l’empêchait d’accepter. Cependant j’avais fait monter une bouteille de bon vin, et, tout en continuant de le presser, moitié en riant, moitié sérieusement, nous nous étions animés tous trois. Après dîner je sortis un quart d’heure pour m’assurer que mes ordres étaient suivis ; puis je rentrai d’un air joyeux, et, m’asseyant au piano, je proposai de faire de la musique. «