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LE PROGRÈS DES IDÉES POSITIVES DANS L’ESTHÉTIQUE

bien saisir leur valeur et leur importance si l’on ignore l’ensemble du système auquel elles appartiennent.

Auguste Comte, mieux que personne, a mis en pleine lumière la dépendance étroite des arts de l’état social ou religieux dans lequel ils prennent naissance et se développent. Mais, beaucoup plus que cette démonstration de la relativité sociale de l’art, l’esprit général de son Cours de philosophie positive devait avoir une influence salutaire sur l’évolution de l’esthétique.

3. — Cette même idée de la relativité de l’œuvre d’art, on la retrouve dans les ouvrages de Sainte-Beuve, exposée au point de vue de la critique littéraire. 11 ne faut pas chercher un système, ni une esthétique complète dans les livres de Sainte-Beuve ; quelques idées éparses dans ses nombreux écrits et les critiques qu’il a formulées contre Taine, c’est tout ce qu’on peut glaner dans son immense œuvre.

Sainte-Beuve saisit toute la complexité du problème de la relativité de l’œuvre d’art ; il comprend que pour déterminer un fait aussi complexe qu’une œuvre d’art, toutes les sciences humaines ne suffisent pas, « la psychologie, la physiologie, la considération du rapport des œuvres non plus seulement avec leur temps, mais avec leur auteur, avec son tempérament, avec son éducation, élargit encore la base, déplace le point de vue, et transforme les méthodes de la critique » (1).

Vers 1851, déjà, Sainte-Beuve sentait le besoin d’introduire la réalité dans la critique. « Ce que j’ai voulu en critique, écrivait-il, ç’a été d’y introduire une sorte de charme et en même temps plus de réalité qu’on n’en mettait auparavant, en un mot, de la poésie à la fois et quelque physique » (2).

Et cette pensée que nous avons trouvée chez l’abbé Dubos et vers la fin du xviiie siècle, chez Marmontel, d’une histoire naturelle de la poésie, nous la retrouverons, mais cette fois appliquée, dans l’œuvre de Sainte-Beuve. « Je n’ai plus qu’un plaisir, écrit-il, janalysc j’herborise, je suis un naturaliste des esprits. — Ce que je voudrais constituer, c’est l’histoire naturelle littéraire » (3). Et, un peu plus loin, Sainte-Beuve ajoute : « Il y a lieu plus que jamais aux juge-

(1) F. Brunetière, L’Evolution des genres, p. 17.

(2) Portraits littéraires, t. III. Pensée 10, 1831, p. 546.

(3) Loc. cit., Pensée 20.