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LE PROGRÈS DES IDÉES POSITIVES DANS L’ESTHÉTIQUE

harmonique à elle-même ; si vos bonshommes ont cent pieds, il faut que les montagnes en aient vingt mille, et qu’est-ce donc que l’idéal, si ce n’est ce grossissement-là ? » (1). Plus tard, Flaubert reviendra à cette idée ; ainsi, il écrira : « Notre cœur ne doit être bon qu’à sentir celui des autres. Soyons des miroirs grossissants de la vérité externe » (2). Mais, en général, l’idéal pour lui se confondra avec le général (3) et le typique (4).

L’art est un mensonge supérieur et, comme tout mensonge, doit produire en nous l’illusion. « La première qualité de l’art et son but est l’illusion)) (5). Flaubert écrit ailleurs : « Oui, travaille, aime l’art. — De tous les mensonges, c’est encore le moins menteur » (6). Et, dans la Préface aux Dernières cliansons de Louis Bouilhet (1870), il écrit : « Enfin, si les accidents du monde, dès qu’ils sont perçus, vous apparaissent transposés comme pour l’emploi d’une illusion à décrire, tellement que toutes les choses, y compris votre existence, ne vous sembleront pas avoir d’autre utilité, et que vous soyez résolus à toutes les avanies, prêts à tous les sacrifices, cuirassés à toute épreuve, lancez-vous, publiez ! » L’idée de Flaubert est que dans l’art on doit peindre les faits extérieurs au point de vue d’une blaque supérieure, c’est-à-dire comme le bon Dieu les voit d’en haut.

Toutes ces idées esthétiques de Flaubert que nous venons d’exposer, n’offrent qu’un intérêt tout à fait secondaire. Si nous avons classé l’auteur de Salammbô à la suite de Sainte-Beuve et dans le même chapitre que Taine, c’est qu’il a des affinités avec ces esthéticiens. En effet, Flaubert a développé des idées positives et scientifiques sur la critique littéraire et l’esthétique qui nous paraissent fort intéressantes. « Il faut faire, écrit-il, de la critique comme on fait de l’histoire naturelle, avec absence d’idée morale, il ne s’agit pas de déclamer sur telle ou telle forme, mais bien d’exposer en quoi elle consiste, comment elle se rattache à une autre et par quoi — elle vit (l’esthétique attend son Geoffroy Saint-Hilaire, ce grand

(1) Lettre à Mme X. de l’année 18153. Vol. II, p. 247. A noter que Victor Hugo avait développé une idée analogue dans la Préface de Marie Tudor. Voici le passage : « Dégager perpétuellement le grand ù travers le vrai, le vrai à travers le grand, tel est donc, selon l’auteur de ce drame, le but du poète au théâtre. Et ces deux mots, grand et vrai, renferment tout. La vérité contient la moralité, le grand contient le beau ».

(2) Lettre à Mme X. de l’année 1853. Vol. II, p. 349. (3) Lettre à E. Feydeau de l’année 1861. Vol. III, p. 209. (4) Lettre à G. Sand de l’année 1866. Vol. III, p. 306. (5) Lettre à Mme X. de l’année 1853. Vol. II, p. 320. (6) Lettre à Mme X. de l’année 1846 (9 août).