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G. FLAUBERT

homme qui a montré la légitimité des monstres). Quand on aura pendant quelque temps traité l’âme humaine avec l’impartialité que l’on mel dans les sciences physiques à étudier la matière, on aura fait un pas immense ; c’est le seul moyen à l’humanité de se mettre un peu au dessus d’elle-même. Elle se considérera alors franchement, purement dans le miroir de ses œuvres, elle sera comme Dieu, elle se jugera d’en haut. — Eh bien, je crois cela faisable ; c’est peut-être, comme pour les mathématiques, rien qu’une méthode à trouver. Elle sera applicable avant tout à l’art et à la religion, ces deux grandes manifestations de l’idée ; que l’on commence ainsi, je suppose : la première idée de Dieu étant donnée (la plus faible possible), le premier sentiment poétique naissant (le plus menu qu’il soit), trouver d’abord sa manifestation, et on la trouvera aisément chez l’enfant sauvage, etc. ; voilà donc un premier point ; là vous établissez déjà des rapports ; puis, que l’on continue, et en tenant compte de tous les contingents relatifs, climat, langue, etc. ; donc, de degré en degré, on peut s’élever ainsi jusqu’à l’art de l’avenir, et à l’hypothèse du Beau, à la conception claire de sa réalité, à ce type idéal où tout notre effort doit tendre ; mais ce n’est pas moi qui me chargerai de la besogne, j’ai d’autres plumes— à tailler » (1). Ailleurs, Flaubert avait déjà écrit : « La conclusion, la plupart du temps, me semble acte de bêtise. C’est là ce qu’ont de beau les sciences naturelles : elles ne veulent rien prouver. Aussi quelle largeur de faits et quelle immensité pour la pensée ! Il faut traiter les hommes comme des mastodontes et des crocodiles ; est-ce qu’on s’emporte à propos de la corne des uns et de la mâchoire des autres ? Montrez-les, empaillez-les, bocalisez les, voilà tout, mais les apprécier, non ; et qui êtes-vous donc vous-mêmes, petits crapauds ? » (2). On voit, par ces passages, comment Flaubert concevait une science sociale et une esthétique objective.

Ces mêmes idées positives, à un moment donné, il les mélange avec ses idées artistiques et arrive ainsi, bien avant Zola, à une conception scientifique du roman. Mais vite Flaubert rejette cette conception bâtarde de l’art ; il critique d’ailleurs Zola de s’y être arrêté. « L’aplomb de Zola, écrit il en matière de critique, s’explique par son inconcevable ignorance » (3).

(1) Lettre à Mme X. de l’année 1853. Vol. II, p. 338. (2) Lettre à Mme X. de l’année 1853. Vol. II, p. 196-197. (3) Lettre à Mme R. de Genettes, 1878. Vol. IV, p. 292.