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1^0 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

connaître avec lui de nos jours, comme aussi, seul avec lui, Baudelaire avait connu de la part de ses contem- porains un aussi injuste déni ; pouvait-il entrevoir enfin que, parmi tant de décombres, son œuvre sans artifice et sans fard nous sourirait aujourd'hui avec une grâce si jeune ? Qu'après avoir extrait de son œuvre tout ce qu'elle enfermait de consciente théorie, Taine nous en ait si peu dégoûtés, et que nous sachions y trouver un enseignement tout autre, plus secret et comme expurgé...

Il me plaît d'avoir été invité à parler précisément à'Ar- 7nance. On a laissé ce livre, jusqu'à présent, un peu à l'écart; injustement, me paraît-il. Les admirations se portent vers Le Rouge et le Noir, vers La Chartreuse, vers Lucien Leuwen même, ou vers cet incomparable Henri Brulard pour lequel il me semble, chaque fois que je le relis, que je sacrifierais tout le reste. Et pourtant je sais certains littératreurs, non des moindres, qui gardèrent pour Armance une sorte de prédilection. Mais pour le commun des lecteurs, et même des Stendhaliens, Armance ne s'est pas encore bien relevé du jugement de Sainte-Beuve : « ce roman, énigmatique par le fond et sans vérité dans le détail, n'annonçait nulle invention et nul génie. »

Il faut avouer que le livre est déconcertant. L'intrigue ne se joue pas seulement entre les personnages, mais sur- tout entre l'auteur et le lecteur ; pour un peu je dirais qu'elle se joue du lecteur. A lire Armance distraitement, on n'y voit d'abord qu'une idylle ; que l'on s'y tienne, et l'on est dupe ; on le sent vaguement ; cela gêne. Il y faut une explication, que je me trouverais bien hardi de proposer, si précisément je n'étais aidé par Stendhal lui- même : certaine lettre de lui à Mérimée nous donnera la clef à! Armance, le mot de cette énigme que le livre propose au lecteur. Tant que ce mot nous manque, le caractère d'Octave, le héros du roman, reste incompréhensible ; grâce à ce mot, tout s'éclaire : cet amoureux héros est un impuissant.

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