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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Pour voir les choses sous forme de symbole, il suffirait donc de les voir en poète. Le symbole ne s'ajoute pas à la vision du poète, il y est impliqué ; et c'est précisément en sachant garder à toute chose son caractère propre que le poète créera de l'universel et de l'éternel. Qu'y a-t-il de plus individuel que Hamlet ? que le Misanthrope ? que Faust ? et qu'y a-t-il en même temps de plus humain ? Etre homme, c'est savoir être pleinement soi-même, enseignait Gœthe. 11 n'y a pas d'huma- nité en dehors de l'individu bien compris. Le poète n'ira donc pas au loin pour chercher des symboles, il en trouve partout pourvu qu'il sache voir et comprendre. Mais dès que se perd la vision du sens propre des choses et qu'il ne reste plus que des menus faits, l'unité entre l'individuel et le général est brisée ; ou plutôt il n'y aura plus ni l'individuel, ni le général ; il n'y aura que le nombre d'une part, et l'abstraction de l'autre; ce ne sera plus le monde du poète qui en vain y chercherait des symboles.

Il n'y a donc pas d'opposition entre l'individuel bien compris et l'idée, nous dit Gœthe. Qu'est-ce que la femme ? C'est cette femme-ci. Mais une fois qu'elle aura cessé d'être pour vous ce qu'elle est en elle-même, et qu'elle n'existera plus qu'en compa- raison avec d'autres, pour ne plus être qu'une de celles qu'on rencontre tous les jours, il n'y aura plus la femme, il y aura les femmes ; c'est le nombre qui tue l'idée.

Voilà les principes dont s'inspirait Gœthe, qui en poésie ne séparait pas l'individuel du général ! M. Werfel part d'un point de vue différent. Chez lui le symbole se rapproche souvent du concept logique ; c'est une pluralité réduite à l'unité par des procédés d'abstraction. Ainsi quand vous serez mis en présence d'Amphé, je crois entendre le poète vous dire : voilà bien les femmes, c'est comme cela qu'elles sont; connaissant mon Amphé vous les connaîtrez toutes. Amphé est donc née d'un pluriel, ce qui aux yeux de Gœthe, ainsi que nous venons de le voir, suffirait pour la disqualifier comme symbole. Retranchez d'un ensemble d'expériences erotiques ce que chacune d'elles aura pu avoir de particulier et d'individuel, vous serez parfaitement en état de comprendre Amphé. Ce n'est pas ainsi que vous connaîtrez Gretchen. Gretchen c'est la femme, telle qu'à un moment de sa vie l'a vue Gœthe, symbole vivant né d'une

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