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NOTES 489

expérience unique ; Amphé ce sont les femmes, ou encore c'est le sexe, terme générique, né d'une abstraction. Disons aussi qu'un certain cynisme, en réduisant l'amour à sa plus simple et invariable expression, s'allie parfaitement aux vues abstraites, et même y dispose, comme il disposera Thamal à se faire moine et à mépriser le monde.

M. Werfel sait donc ce que c'est que l'amour et ses person- nages témoigneront de son savoir. Le symbole, chez lui, résume et précise ; aussi signifie-t-il toujours un terme. Or, c'est ce que je ne saurais voir sans crainte. Un monde mis en sym- bole est un monde qui finit. En suivant les principes de Goethe, par contre, nous ne saurions jamais arriver à une fin ; car, vu qu'il y a autant de symboles qu'il y a d'individus, il y aura toujours une infinité de manières d'exprimer ce que nous ne faisons qu'entrevoir, chacun dans ce que, sous forme d'expé- rience individuelle, il conçoit de la vie. Tout poète pour sa part devra donc recommencer l'œuvre qui consiste à recher- cher l'infini dans le fini. M. Werfel, lui, nous arrête. L'amour? Le voilà. Il nous montre les idées descendues sur terre et venues exprès de l'autre monde pour se substituer aux appa- rences de celui-ci. Il est vrai que chez lui les idées ne sont jamais ennuyeuses. En séjournant quelque temps parmi nous, elles semblent perdre de leur gravité et cesser d'être rigides. M. Werfel, qui sans aucun doute est un grand artiste, les fera cabrioler tout à son aise ; elles ne chercheront qu'à nous amu- ser. Mais tout en me divertissant à leur jeu, je les crains ; car quelle que soit la forme sous laquelle on nous les présente, elles risqueront toujours en se substituant aux visions de la yie, de mettre fin à toute poésie. « C'est dans ses reflets aux teintes changeantes, qu'il vous sera donné de voir la vie ». Le mot est encore deGœthe.

On m'objectera peut-être qu'aucun poète ne voyant l'idée de la même manière qu'un autre, et la vie individuelle repre- nant ainsi ses droits, il y aura toujours diversité dans le monde des symboles. Thamal et Amphé ont beau prétendre être l'homme et la femme en soi, ce ne seront toujours que l'homme et la femme de M. Werfel, et quand M. Werfel vous dira : « Voilà la vie », il aura beau faire, il ne fera toujours que nous l'interpré- ter à sa manière. Le symbole sera l'absolu, mais l'absolu vu à

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