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•^54 ^A NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

seule aux heures où personne n'est admis. » En effet la Grande-Duchesse Eudoxie, ne se souciant pas que la Prin- cesse Sherbatoff qui depuis longtemps n'était plus reçue par personne vînt chez elle quand elle eût pu y avoir du monde, ne la laissait venir que de très bonne heure quand l'Altesse n'avait auprès d'elle aucun des amis à qui il eût -été aussi désagréable de rencontrer la Princesse que cela eût été gênant pour celle-ci. Comme depuis trois ans, aussitôt après avoir quitté, comme une manucure, la Grande-Duchesse^ M"'^ Sherbatoff partait chez M" Ver- durin qui venait seulement de s'éveiller, et ne la quittait plus, on peut dire que la fidélité de la Princesse passait infiniment celle même de Brichot, si assidu pourtant à ces mercredis où il avait le plaisir de se croire à Paris une sorte de Chateaubriand à l'Abbaye aux bois et à la cam- pagne, où il se faisait l'effet de devenir l'équivalent de ce que pouvait être chez M™* de Châtelet celui qu'il nommait toujours (avec une malice et; une satisfaction de lettré) : « M. de Voltaire ». Son absence de relations avait permis à la princesse Sherbatoff de montrer depuis quelques années aux Verdurin une fidélité qui faisait d'elle plus qu'une « fidèle » ordinaire, la fidèle type, l'idéal que M""^ Verdurin avait longtemps cru inaccessible et qu'arrivée au retour d'nge, elle trouvait enfin incarnée en cette nouvelle recrue féminine. De quelque jalousie qu'en eût été torturée la Pa- tronne, il était sans exemple que les plus assidus de ses fidèles n'eussent « lâché » une fois. Les plus casaniers se laissaient tenter par un voyage ; les plus continents avaient eu une bonne fortune ; les plus robustes pouvaient attraper la grippe ; les plus oisifs être pris par leurs vingt-huit jours ; les plus indifférents aller fermer les yeux à leur mère mou- rante. Et c'était en vain que M'^'= Verdurin leur disait alors, comme l'Impératrice romaine, qu'elle était le seul général à qui dût obéir sa légion, comme le Christ ou le Kaiser, que celui qui aimait son père et sa mère autant qu'elle et n'était pas prêt à les quitter pour la suivre n'était pas digne d'elle.

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