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de même couleur autour de la cravate) ; mais j’y suis par ordre, comme les enfants et les domestiques, pour honorer son chagrin à elle. Le mien, il faut que je le cache. Ces lettres, vous pensez bien que j’aurais eu la générosité de ne pas m’en servir ; mais enfin, dans le fond d’un tiroir, pour mon propre réconfort, j’aurais eu cette preuve de mon bon droit. La vie est dure pour une femme seule, qui ne doit compter sur aucun appui.

Sentant qu’il importe de serrer son jeu et de ne perdre aucun indice, Vernois scrute ce visage avec une insistance qui achève d’abuser Mlle Gassin.

— Je suis peut-être ingrate, reprend-elle, car dans toute votre attitude il me semble discerner… une loyauté… je ne sais comment dire… presque une sympathie… qui m’est déjà un grand soutien. Vous non plus vous n’êtes pas de leur monde ; cela nous rapproche. Soyons amis, voulez-vous ?

Elle tend la main avec cette franchise qui passe pour anglaise et prend celle de Vernois qui retombe aussitôt. Pour n’avoir pas à répondre, il s’empresse de demander :

— Vous avez cherché ces lettres ?

— Vous ne sauriez croire combien je m’en suis tourmentée. Elles ne peuvent être qu’à Paris. J’ai vainement fouillé toute la maison. Mais il y a des bureaux et des ateliers où je n’ai pas facilement accès. Si seulement vous vouliez m’aider ?

Pris au piège, son premier mouvement est de se dégager :

— Malheureusement, il faudrait un hasard bien extraordinaire…

Mais il comprend encore à temps sa gaucherie. Va-t-il perdre sa dernière chance de mener à bien le projet qui l’a conduit sur cette plage, et comme un enfant boudeur s’en ira-t-il en laissant le champ libre à ceux qui le froissent ou qui lui déplaisent ? Il reprend donc :

— Jamais je n’ai mis les pieds dans cette maison. Tantôt M. de Pontaubault m’offrait de m’y conduire, mais j’ai