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RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 73

mal à mettre en pied les camarades dont il parle. Il ne sait même pas les faire parler. Les propos qu'ils tiennent sont insignifiants, précisément parce qu'ils sont vrais. Il n'y a qu'un homme de lettres qui puisse transposer la vie pour la faire paraître de la vie, et trouver l'angle de convention qui donne, dans l'optique du livre, devrais poilus. Nous avons tous fait en version latine cette vieille histoire. Un bouffon de foire imite admirablement le cri du cochon. Un paysan trouve que ce n'est pas extraordi- naire et qu'il en ferait bien autant. L'assistance murmure, fina- lement défi et rendez-vous pour le jour suivant. Le lendemain le paysan est là, le bouff'on commence, applaudi comme la veille ; son concurrent lui succède, mais la foule le couvre de huées et donne la palme au bouffon. Le paysan montre alors un porcelet qu'iltenait sous son manteau et qu'il faisait crier en lui tirant l'oreille : « Voyez quels juges vous êtes : c'est le cochon que vous sifflez. » La foule avait probablement raison. La vérité de l'art n'est pas celle de la nature. Le bouffon devait donner mieux que le cochon l'illusion d'un cochon. Il en est du livçe comme du théâtre, où la vie militaire ne pourra jamais être ren- due par un soldat, mais par un habile acteur maquillé en soldat. Il est dès lors naturel que la littérature de guerre ait été une littérature fort « civile ». M. Barbusse figurait dans son escouade comme M. Madelin au G. Q.- G. Le romancier naturaliste et l'agrégé d'histoire ont fait leur métier civil. Dans leurs livres le « civilisme », comme disait le P. Didon, coule à pleins bords. Et moi qui n'ai jamais été qu'un civil mal mobilisé, je serais bien le dernier à le leur reprocher.

Si le livre de M. Gaudy vous paraît inférieur au Feu, soyez certain que c'est le poilu que vous sifflez. De la première ligne à la dernière, voilà le livre d'un soldat, qui n'est que cela, d'un homme au sens de la terminologie militaire. Ce qui remplit d'admiration c'est moins ce qu'il dit que ce qu'il ne dit pas. L'au- teur est un caporal du 57e régiment d'infanterie. Une fait pas la moindre allusion à sa vie civile. Est-il clubmen, banquier, pro- fesseur, garçon d'hôtel, terrassier ou camelot? Nous n'avons pas à le savoir. Il est le caporal Gaudy, de la 5^ escouade de la 6« com- pagnie (capitaine Taravan) du 57^ régiment d'infanterie (colonel Bussy). Il a fait toute la guerre, en partie comme simple soldat. Il a été nommé caporal après un stage d'instruction. Cela même

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