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74 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

il ne le dit pas et c'est moi qui le devine en lisant entre les lignes- (a le capitaine Taravan qty fut mon chef au C. I. D. »). De sa vie militaire depuis le début de la guerre il ne nous entretient pas; à peine une allusion à sa présence à l'Yser et à Verdun. Aucun souci de se faire valoir. Aucun souci de portraicturer, avec cette ironie aimable qui est le péché mignon du Français intel- ligent, ses camarades et ses chefs. Rien de ce qui fait la raison d'être habituelle du livre de guerre. Jamais il ne serait venu à l'idée de ce caporal de mettre du noir sur du blanc si, en mars- avril 19 18, son régiment, sa compagnie, son escouade n'avaient pu se croire, sur un point, les maîtres de l'heure. A la Marne il y a eu la victoire parce que chaque homme a dit : Il faut que cela soit fait ! Le caporal, après la défense du Mont-Renaud, a écrit son livre à la suite d'un : Il faut que cela soit dit ! Et cela a été dit comme cela a été fait, la même âme circulant dans l'un et dans l'autre.

« J'ai lu, dit M. Bergson dans une des conférences de ï Energie Spirituelle, quelque part l'histoire d'un sous-lieutenant que les hasards de la bataille, la disparition de ses chefs tués ou blessés, avaient appelé à l'honneur de commander le régiment : toute sa vie il y pensa, toute sa vie il en parla, et du souvenir de ces quelques heures son existence entière resta imprégnée. » Je suis persuadé que si ce sous-lieutenant avait essayé de faire passer dans un livre ces quelques heures, il eût donné à ce sou- venir une expression aussi saisissante que le rapport, publié par Iz Nouvelle Revue Française, du commandant Jagueneaud sur le. naufrage de la Ville de Saiut-Naiaire. M. Gaudy a passé non pas quelques heures, mais plusieurs jours dans cette tension.. Le Mont-Renaud est un château sur une éminence qui, à la sortie de Noyon, se trouve en travers de la route de Compiègne à Paris. Dans la bataille décisive de mars-avril 191 8, où l'offen- sive de Ludendorf fut brisée, le Mont-Renaud servit de pivot à la ligne française. Le caporal Gaudy l'occupa, au début, avec un petit poste de cinq hommes. Le château fut détruit, et le 57« régiment aussi, pendant la bataille qui suivit, mais l'ennemi ne passa pas.

D'un bout à l'autre du livre, il n'y a pas une seule ligne qui décèle la moindre vanité. Mais on y trouve une grande, une étonnante fierté. On comprend à quel point la fierté est le

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