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SUR LA TERRASSE DE LECTOURE

dans une contemplative solitude ? Mes yeux se remplissaient de larmes. Tout l’héroïsme dur et tendu, par Lectoure accumulé dans mon âme, débordait enfin et se résolvait en une véhémence émouvante de tout mon être où je ne savais ce qui surpassait, ce paysage composé par le concours assidu de la nature et de l’histoire, la sensation visible d’une France vivante et continuée, ou encore et surtout, cette fleur d’adolescence et de songe penchée au vent de la nuit prochaine sur le gouffre, et terminant d’un pathétique sommet l’âpre faisceau d’énergies séculaires entr’ouvert pour qu’elle s’y épanouît.

Quel admirable cadre, disiez-vous, pour la formation d’un Julien Sorel ! Mais qu’importait l’ancienne France à l’amant de M me de Rénal ! À Lectoure, comme sur la terrasse de Verrières, il n’aurait poursuivi que son immense orgueil et ses rêves de proie. Je vois plutôt se construire ici un héros de Barres, un Sturel, si l’on veut, mais prenant, dès seize ans, conscience de soi-même, de son histoire et de sa race. Ah ! Delrio, qu’alliez-vous donc chercher sur la terrasse de Tolède ? Fallait-il que vous fissiez le tour de l’ancien monde pour apprendre qu’il n’est d’autre sublime que celui dont résonne, dès que nous la foulons, une terre commune à nous et à ceux de notre sang ? Ces torrents de poésie qui s’amassaient, inutilisés, dans votre cœur, et vous inclinaient, faute d’em