— Non, n’est-ce pas ! tu ne pouvais même pas t’en apercevoir tout seul !
Il m’avait saisi le bras et me secouait furieusement. Sa voix, entre ses dents serrées, se faisait tremblante et sifflante.
— Abel, je t’en supplie, lui dis-je après un instant de silence, d’une voix qui tremblait aussi, et tandis qu’il m’entraînait à grands pas au hasard, — au lieu de Remporter ainsi, tâche de me raconter ce qui s’est passé. J’ignore tout.
À la lueur d’un réverbère, il m’arrêta soudain, me dévisagea ; puis, m’attirant vivement contre lui, il posa sa tête sur mon épaule et murmura dans un sanglot :
— Pardon ! je suis stupide moi aussi et n’ai pas su y voir plus clair que toi, mon pauvre frère !
Ses pleurs parurent un peu le calmer ; il releva la tête, se remit à marcher et reprit :
— Ce qui s’est passé ?… À quoi sert à présent d’y revenir ? J’avais parlé à Juliette le matin, je te l’ai dit. Elle était extraordinairement belle et animée ; je croyais que c’était à cause de moi ; c’était parce que nous parlions de toi, simplement.
— Tu n’as pas su t’en rendre compte alors ?…
— Non ; pas précisément ; mais maintenant les plus petits indices s’éclairent…
— Es-tu sûr de ne pas te tromper ?
— Me tromper ! Mais, mon cher, il faut être aveugle pour ne pas voir qu’elle t’aime.
— Alors Alissa…
— Alors Alissa se sacrifie. Elle avait surpris le secret de sa sœur et voulait lui céder la place. Voyons, mon vieux !