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LA PORTE ÉTROITE
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sion Alissa, et qui me valait son silence ?), la maladroite attention qui la poussait à me communiquer ceci. Si déjà je supportais mal le silence d’Alissa, ah ! ne valait-il pas mieux mille fois me laisser ignorer que ce qu’elle ne me disait plus, elle l’écrivait à quelque autre ! — Tout m’irritait ici : et de l’entendre raconter si facilement à ma tante les menus secrets d’entre nous, et le ton naturel, et la tranquillité, le sérieux, l’enjouement…

— Mais non, mon pauvre ami ; rien ne t’irrite dans cette lettre que de savoir qu’elle ne t’est pas adressée — me dit Abel, mon compagnon quotidien, Abel à qui seul je pouvais parler et vers qui, dans ma solitude, me repenchaient sans cesse faiblesse, défiance de moi, besoin plaintif de sympathie, et dans mon embarras, crédit que j’attachais à son conseil malgré la différence de nos natures, ou à cause d’elle plutôt…

— Etudions ce papier, dit-il en étalant la lettre sur son bureau. — Trois nuits avaient déjà passé sur mon dépit, que j’avais su garder par devers moi quatre jours ! J’en venais presque naturellement à ce que mon ami sut me dire :

— La partie Juliette-Teissière, nous l’abandonnons au feu de l’amour, n’est-ce pas. Nous savons ce qu’en vaut la flamme ! Parbleu ! Teissière me paraît bien le papillon qu’il faut pour s’y brûler…

— Laissons cela, dis-je, offusqué par les plaisanteries d’Abel. Venons au reste.

— Le reste ? fit-il… Tout le reste est pour toi ! Plainstoi donc ! Pas une ligne, pas un mot que ta pensée n’emplisse. Autant dire que la lettre entière t’est adressée ; tante Félicie, en te la renvoyant, n’a fait que la retourner