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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

nous taire ? nous hivernions sans doute. Oh ! qu’il soit fini pour jamais cet affreux hiver de silence. Depuis que te voilà retrouvé, la vie, la pensée, notre âme, tout me paraît beau, admirable, fertile inépuisablement… "

12 septembre.

" y ai bien reçu ta lettre de Pise. Nous aussi nous avons un temps splendide ; jamais encore la Normandie ne m’avait paru si belle. J’ai fait avant-hier, seule, à pied, une énorme promenade — à travers champs, au hasard ; je suis rentrée plus exaltée que lasse, toute ivre de soleil et de joie ; que les meules, sous l’ardent soleil, étaient belles ! Je n’avais pas besoin de me croire en Italie pour trouver tout admirable.

Oui, mon ami, c’est une exhortation à la joie, comme tu dis, que j’écoute et comprends dans « l’hymne confus » de la nature. Je l’entends dans chaque chant d’oiseau ; je la respire dans le parfum de chaque fleur, et j’en viens à ne comprendre plus que l’adoration comme seule forme de la prière, redisant comme Saint François : Mon Dieu ! Mon Dieu ! u e non altro", le cœur rempli d’un inexprimable amour.

Ne crains pas toutefois que je tourne à l’ignorantine ! j’ai beaucoup lu ces derniers temps ; quelques jours de pluie aidant, j’ai comme replié mon adoration dans les livres… Achevé Malebranche et tout aussitôt pris les lettres à Clarke de Leibnitz. Puis, pour me reposer, ai relu les Cenci de Shelley — sans plaisir ; relu la Sensitive aussi… Je vais peut-être t’indigner : je donnerais presque tout Shelley, tout Byron, pour les quatres odes de Keats que nous lisions ensemble l’été passé. De même que je donnerais tout Hugo pour quelques sonnets de Baudelaire. Le mot : grand poète