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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

des solitaires sur la « garrigue », où ce qui m’étonne le plus, c’est de ne pas me sentir plus joyeuse. Le bonheur de Juliette devrait me combler… pourquoi mon cœur cède-t-il à une mélancolie incompréhensible dont je ne parviens pas à me défendre ? La beauté même de ce pays, que je sens, que je constate du moins, ajoute encore à mon inexprimable tristesse… Quand tu m’écrivais d’Italie, je savais voit à travers toi toute chose ; à présent il me semble que je te dérobe tout ce que je regarde sans toi. Enfin, je m’étais fait, à Fongueusemare et au Havre, une vertu de résistance à V usage des jours de pluie ; ici cette vertu n’est plus de mise et je reste inquiète de la sentir sans emploi. Le rire des gens et du pays m offusque ; peut-être que j’appelle être triste simplement n’être pas aussi bruyant qu’eux… Sans doute auparavant il entrait quelque orgueil dans ma joie, car à présent ; parmi cette gaieté étrangère, c’est quelque chose comme de V humiliation que f éprouve…"

À peine si j’ai pu prier depuis que je suis ici ; f éprouvais le sentiment enfantin que Dieu n’est plus à la même place. Adieu ; je te quitte bien vite ; j’ai honte de ce blasphème, de ma faiblesse, de ma tristesse, et de V avouer et de t’écrire tout ceci que je déchirerais demain si le courrier ne me V emportait pas ce soir… "

La lettre suivante ne parlait que de la naissance de sa nièce dont elle devait être marraine, de la joie de Juliette, de mon oncle… mais de ses sentiments à elle il n’était plus question.

Puis ce furent des lettres datées de Fongueusemare de nouveau, où Juliette en juillet vint les rejoindre…

u Edouard et Juliette nous ont quittés ce matin. C’est ma