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LA PORTE ÉTROITE
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petite filleule surtout que je regrette. Quand je la reverrai dans six mois je ne reconnaîtrai plus tous ses gestes ; elle n’en avait encore presque pas un que je ne lui aie vu inventer. Les formations sont toujours si mystérieuses et surprenantes ; c’est par défaut d’attention que nous ne nous étonnons pas plus souvent. Que d’heures j’ai passées, penchée sur ce petit berceau plein d’espérance. Par quel égoïsme, quelle suffisance, quelle inappétence du mieux, le développement sarrête-t-il si vite, et toute créature sefixe-t-elle encore si distante de Dieu ! Oh ! si pourtant nous pouvions, nous voulions nous rapprocher de Lui davantage… quelle émulation ce serait !

Juliette paraît très heureuse. Je m’attristais d’abord à la voir renoncer au piano et à la lecture. Mais Edouard Teissière n’aime pas la musique et n’a pas grand goût pour les livres ; sans doute Juliette agit-elle sagement en ne cherchant pas ses joies où lui ne pourrait pas la suivre. Patcontre elle prend intérêt aux occupations de son mari qui la tient au courant de toutes ses affaires. Elles ont pris beaucoup d’extension cette année ; il s’amuse à dire que c’est à cause de son mariage, qui lui a valu une importante clientèle au Havre. Robert l’a accompagné dans son dernier voyage d’affaires ; Edouard est plein d’attentions pour lui, prétend comprendre son caractère et ne désespère pas de le voir prendre sérieusement goût à ce genre de travail.

Père va beaucoup mieux ; de voir sa fille heureuse le rajeunit. Il s’intéresse de nouveau à la ferme, au jardin, et tantôt m’a demandé de reprendre la lecture à voix haute que nous avions commencée avec Miss Ashburton et que le séjour des Teissière avait interrompue. Ce sont les voyages du baron de Hubner que je leur lis ainsi ; moi-même j’y prends grand plaisir. Je vais maintenant avoir plus de