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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Oui, je sentais tout ce que tu m’écris ; mais je craignais de me le dire. Quelle affreuse réalité tu donnes à ce qui n’est qu’imaginaire et comme tu l’épaissis entre nous !

Si tu sens que tu m’aimes moins… Loin de moi cette supposition cruelle que toute ta lettre dément ! Mais alors qu’importent tes appréhensions passagères ? Alissa ! dès que je veux raisonner ceci, ma phrase se glace ; je n’entends plus que le gémissement de mon cœur. Je t’aime trop pour être habile et plus je t’aime, moins je sais te parler. "Amour de tête "… que veux-tu que je réponde à cela ? Quand c’est de mon âme entière que je t’aime, comment saur ais-je distinguer entre mon intelligence et mon cœur ? Mais puisque notre correspondance est cause de ton imputation offensante, puisque soulevés par elle, la chute dans la réalité ensuite nous a si durement meurtris, puisque tu croirais à présent, si tu m’écris, n’écrire plus qu’à toi-même, puisque aussi, pour endurer une nouvelle lettre pareille à cette dernière je suis sans force — je t’en prie : arrêtons pour un temps toute correspondance entre nous."

Dans la suite de ma lettre, protestant contre son jugement, j’interjetais appel, la suppliais, au nom de notre amour, de faire crédit à notre amour d’une nouvelle entrevue. Celle-ci avait eu tout contre elie : milieu, comparses, saison — et jusqu’à notre correspondance exaltée qui nous y avait si peu prudemment préparés. Le silence seul précéderait cette fois notre rencontre. Je la souhaitais au printemps, à Fongueusemare, où je pensais que plaiderait en ma faveur le passé, où mon oncle voudrait bien me recevoir pendant les vacances de Pâques autant de jours, ou aussi peu, qu’elle-même le jugerait bon.