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LA PORTE ÉTROITE
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Et comme si cette lettre ne m’était pas déjà suffisamment douloureuse, elle y avait, le lendemain, ajouté ce post-scriptum :

u Je ne voudrais pas laisser partir cette lettre sans te demander un peu plus de discrétion en ce qui notis concerne tous deux. Maintes fois tu m’as blessée en entretenant Juliette ou Abel de ce qui eût dû rester entre toi et moi, et c’est bien ce qui, longtemps avant que tu t’en doutes, m’avait fait penser que ton amour était surtout un amour de tête, un bel entêtement intellectuel de tendresse et de fidélité."

La crainte que je ne montrasse cette lettre à Abel indubitablement en avait dicté les dernières lignes. Quelle défiante perspicacité l’avait donc mise en garde ? Avaitelle surpris naguère dans mes paroles quelque reflet des conseils de mon ami ?..

Je me sentais bien distant de lui désormais — nous suivions deux voies divergentes. Et cette recommandation était bien superflue pour m’apprendre à porter seul le tourmentant fardeau de mon chagrin.

Les trois jours suivants furent uniquement occupés par ma plainte ; je voulais répondre à Alissa ; je craignais, par une discussion trop posée, une protestation trop véhémente, par le moindre mot maladroit, d’aviver incurablement notre blessure. Vingt fois je recommençai la lettre où se débattait mon amour. Je ne puis relire aujourd’hui sans pleurer ce papier lavé de larmes, double de celui qu’enfin je me décidai à envoyer.

" Alissa ! aie pitié de moi, de nous deux !… Ta lettre me fait mal. Que j’aimerais pouvoir sourire à tes craintes !