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534 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Je conçois l'hostilité de certains artistes contre les œuvres de Claude Monet et j'admets qu'ils refusent de voir dans aucune d'entre elles ce qu'on nomme à l'Ecole "le tableau"... c'est moins et plus., une distinction s'impose.

Entre Monet et ses confrères les plus admirables, il n'y a pas de commune mesure. Les plus novateurs de ceux-ci, un Corot, un Degas, un Cézanne se tiennent cependant dans certaines limites de la tradition qu'ils continuent et que l'on continuera à leur suite. Monet lui, n'en a pas souci ; il ne continue rien, ni personne — sinon la révolte finale d'un Turner ! — et il ne doit pas être continué. Alors qu'un seul tableau devrait suffire à un Degas, à un Cézanne pour exprimer toute leur science et toute leur émotion, Monet a besoin d'un ensemble. Ils peignent dans l'espace, lui — si j'ose dire — dans le temps. Chacun de ses panneaux se suffisant cependant à lui-même, en suppose, en appelle d'autres, et avant et après lui. Conception exceptionnelle, que justifie la réussite. De même aussi l'abdication du dessin. Où régnent lumière et couleur, et changement de lumière, qu'y viendrait ajouter sa précise éloquence ? Du superflu. C'est volontairement que Monet y renonce. Qu'il sache dessiner, ses premiers tableaux en font foi. Il fut l'égal d'un Edouard Manet dans la construction des formes. Il ne lui faut plus désormais que le contour d'un motif, le plus simple motif possible. Et plus le motif sera simple plus Monet prétendra en extraire d'émotions.

Remarquez comme au cours de cinq années d'études au bord du même étang fleuri, le champ de sa vision, Claude Monet le restreint de façon progressive. Il peint d'abord l'étang cerné de rives, puis les rives s'écroulent, demeure leur reflet ; l'année suivante, plus rien que le reflet des arbres, puis rien que le ciel dans l'eau. Et aussi, du parterre de nénuphars ne reste à la fin qu'une fleur à peine, — De même, c'est la solidité du paysage qu'il évoque d'abord par un temps limpide et glacé, puis son embrasement, puis sa

mollesse et sa subtilité ; ainsi jusqu'à l'évanescence

Malheur à qui choisirait Monet pour son maître. Classique-

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