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NOTES 123

j'ai même l'idée qu'elle éclaire parfois davantage sur l'obser- vateur que sur l'observé. Ainsi, il y aurait à faire un curieux portrait de M. Pierre Mille d'après la façon dont il interroge Caillou. Lui-même prend soin de nous tenir compte de ses étonnements à chaque découverte. Et il se débarrasse devant nous de pas mal d'idées préconçues. Comme il est avant tout sincère, il lui est indi£Eérent d'avoir à quitter une opinion à laquelle s'était attaché son matérialisme de " Français mâle et adulte qui se respecte " dès qu'enfin un fait bien constaté ne cadre plus avec cette opinion. Tant pis pour les synthèses.

De Tili, la sœur de Caillou, M. Pierre Mille parle à peine. Peut-être un jour lui plaira-t-il de se pencher sur l'âme d'une petite fille. Pour l'instant c'est le petit garçon qui l'inté- resse. Après tout, si loin qu'il soit d'un homme fait, ce petit être est toujours un mâle, et ses colères, ses enthousiasmes, ses pensées, ses pudeurs même sont bien, en germe, celles d'un homme. Quant à ses rêves, hélas ! (et ici l'observation de M. Mille est admirable) ils ne seront jamais plus intenses, plus puissants, ils ne combleront jamais davantage son imagination. A moins qu'il ne devienne poète, l'homme perd chaque jour sous la poussée de l'expérience, cette faculté de créer, obsti- nément, grandiosement, de l'idéal.

Et pourtant, le pauvre CaiUou, il n'est guère idéaliste. C'est un produit de Paris, une espèce de gamin déjà sceptique, et averti de bien des choses. Il n'a pas, comme les gosses du peuple, cet esprit acerbe et lamentable, à la Forain, et dont les mots font tant de peine, lorsqu'on les surprend, dans la rue. C'est un fils de petits bourgeois, ni riches, ni pauvres, mais qui économisent. Il y a l'électricité dans l'appartement, et le père se met en habit parfois le soir. Mais la mère est une modeste maman qui s'occupe de ravauder les hardes de ses enfants. Caillou fera partie du demi-prolétariat. Il a trop vite pris contact avec les réalités d'une grande ville pour que ses rêves aient la fraîcheur mystérieuse de ceux que forment les enfants à qui sont offerts de longs séjours dans des jardins, des forêts, ou sur des plages. Son imagination est pareille à une pauvre petite fleur poussée entre les pavés d'une rue. Elle

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