Page:Nerciat - Félicia.djvu/181

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féré : nous le priâmes d’accepter au retour notre souper ; ce qu’il fit.

Pendant le repas, certaines minauderies de Sylvina me firent aviser qu’elle n’aurait pas été fâchée de donner dans l’œil du bel Anglais : ce qui fortifia beaucoup mes soupçons fut que je la vis s’étudier à ne faire aucune attention à Monrose, qu’elle avait cependant perpétuellement caressé le matin, au point de le faire asseoir sur elle et de lui donner sans gêne de ces baisers qui ne sont plus sans conséquence quand on est aussi formé que l’était notre nouvel ami. On avait beau le tutoyer, le nommer mon fils, répéter sans cesse qu’on pourrait être sa mère, Monrose était trop aimable et Sylvina trop sujette à s’enflammer pour que toute cette belle amitié ne me parût pas quelque chose de plus. Je me rappelais d’Aiglemont, Géronimo, et je disais en dedans de moi : « Voici donc encore un larcin que Sylvina voudrait me faire ; pour le coup, celui-ci ne lui convient pas, il est mon lot, à moi. » Je trouvais Monrose adorable ; tout favorisait le projet de me l’attacher. Je ne pouvais douter que je ne lui eusse fait impression. Il ne s’agissait donc plus d’avoir les yeux ouverts sur la conduite de Sylvina. Elle était femme à faire les démarches les plus hardies. Je résolus de la prévenir et de me jeter plutôt à la tête du bel enfant que de ne pas l’avoir la première, si la fatalité de mon étoile me condamnait à toujours partager.

Mais si j’avais des plans, Sylvina en avait aussi. Elle feignit pendant plusieurs jours d’être incommodée pour se dispenser de sortir ; autrement j’aurais dû rester à la maison avec Monrose qui, n’étant pas vêtu, n’aurait pu l’accompagner : c’était précisément ce tête-à-tête qu’elle redoutait ; elle restait donc au logis. Pendant cette retraite, elle donna tous ses soins au beau jeune homme, l’équipa galamment, lui donna des nippes et lui retint des maîtres. Il était d’une beauté ravissante dans ses nouveaux ajustements. Nous trouvions surprenant qu’il eût sur-le-champ cette bonne mine, ce maintien aisé et noble qui n’est pas toujours le fruit assuré d’une longue éducation.