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CHAPITRE XXII


Dont je ne sais comment je me tirerai.


Prendrai-je ici sur moi de faire à mes lecteurs une friponnerie en faveur de mon amour-propre ? Supprimerai-je la description d’une nuit dont Ovide lui-même peindrait difficilement les peines et les plaisirs ? Non, je suis trop de bonne foi pour user de cette supercherie triviale. Je ne donnerai point à mon éditeur l’embarras de dire qu’ici se trouve une de ces lacunes auxquelles personne ne croit plus. Je vais conter, bien imparfaitement sans doute, comment fut prise enfin une petite place très mal défendue depuis un an par les seuls contretemps, pendant que le tempérament, gouverneur, était d’intelligence avec l’ennemi.

Quoique le moment auquel je touchais eût été l’objet des plus impatients désirs, je ne sais quelle sombre inquiétude s’empara tout à coup de moi. D’Aiglemont se pressait pour me déshabiller. Comme il était habile ! Qu’il m’eut bientôt débarrassée de tout ce qui pouvait le gêner ! Quelle grêle de baisers il fit pleuvoir sur tous mes charmes ! Cependant j’étais immobile… Je n’éprouvais encore ni peine ni plaisir. Les facultés de mon âme me semblaient suspendues… J’existais dans un moment qui n’était pas encore et que je redoutais malgré moi… Je perdais la jouissance d’une infinité de gradations que mon voluptueux amant savourait avec le dernier transport… Il m’entraîna doucement, je me trouvai sur l’autel où Vénus attendait que je lui fusse immolée. Dieu ! où puisait-il les éloges passionnés qu’il prodiguait à la moindre beauté ? Je sors enfin de ma fatale apathie. Le chatouillement exquis de tant de baisers réveille mes sens engourdis. Je suis embrasée… Mon âme cherche celle qui s’apprête à s’exhaler en moi. Une tendre fureur… Mais quel obstacle s’élève ? Des douleurs aiguës troublent les plus par-