Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/128

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— Oh ! ne m’en parlez pas.

— Alors chantez-moi la chanson de la belle fille enlevée au jardin de son père, sous le rosier blanc.

— On ne chante plus cela.

— Seriez-vous devenue musicienne ?

— Un peu.

— Sylvie, Sylvie, je suis sûr que vous chantez des airs d’opéra !

— Pourquoi vous plaindre ?

— Parce que j’aimais les vieux airs, et que vous ne saurez plus les chanter.

Sylvie modula quelques sons d’un grand air d’opéra moderne… Elle phrasait !

Nous avions tourné les étangs voisins. Voici la verte pelouse, entourée de tilleuls et d’ormeaux, où nous avons dansé souvent ! J’eus l’amour-propre de définir les vieux murs carlovingiens et de déchiffrer les armoiries de la maison d’Este.

— Et vous ! comme vous avez lu plus que moi ! dit Sylvie. Vous êtes donc un savant ?  

J’étais piqué de son ton de reproche. J’avais jusque-là cherché l’endroit convenable pour renouveler le moment d’expansion du matin ; mais que lui dire avec l’accompagnement d’un âne et d’un petit garçon très-éveillé, qui prenait plaisir à se rapprocher toujours pour entendre parler un Parisien ? Alors j’eus le malheur de raconter l’apparition de Châalis, restée dans mes souvenirs. Je menai Sylvie dans la salle même du château où j’avais entendu chanter Adrienne.

— Oh ! que je vous entende ! lui dis-je ; que votre voix chérie résonne sous ces voûtes et en chasse l’esprit qui me tourmente, fût-il divin ou bien fatal !  

Elle répéta les paroles et le chant après moi :

Anges, descendez promptement
Au fond du purgatoire !…

— C’est bien triste ! me dit-elle.