Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/137

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de route directe. Quelquefois j’y vais par Creil et Senlis ; d’autres fois par Dammartin.

À Dammartin, l’on n’arrive jamais que le soir. Je vais coucher alors à l’Image saint Jean. On me donne d’ordinaire une chambre assez propre tendue en vieille tapisserie avec un trumeau au-dessus de la glace. Cette chambre est un dernier retour vers le bric-à-brac, auquel j’ai depuis longtemps renoncé. On y dort chaudement sous l’édredon, qui est d’usage dans ce pays. Le matin, quand j’ouvre la fenêtre, encadrée de vigne et de roses, je découvre avec ravissement un horizon vert de dix lieues, où les peupliers s’alignent comme des armées. Quelques villages s’abritent çà et là sous leurs clochers aigus, construits, comme on dit là, en pointes d’ossements. On distingue d’abord Othys, — puis Ève, puis Ver ; on distinguerait Ermenonville à travers le bois s’il avait un clocher ; mais dans ce lieu philosophique on a bien négligé l’église. Après avoir rempli mes poumons de l’air si pur qu’on respire sur ces plateaux, je descends gaiement et je vais faire un tour chez le pâtissier. « Te voilà, grand frisé ! — Te voilà, petit Parisien ! » Nous nous donnons les coups de poing amicaux de l’enfance, puis je gravis un certain escalier où les joyeux cris de deux enfants accueillent ma venue. Le sourire athénien de Sylvie illumine ses traits charmés. Je me dis :

— Là était le bonheur peut-être ; cependant… 

Je l’appelle quelquefois Lolotte, et elle me trouve un peu de ressemblance avec Werther, moins les pistolets, qui ne sont plus de mode. Pendant que le grand frisé s’occupe du déjeuner, nous allons promener les enfants dans les allées de tilleuls qui ceignent les débris des vieilles tours de brique du château. Tandis que ces petits s’exercent, au tir des compagnons de l’arc, à ficher dans la paille les flèches paternelles, nous lisons quelques poésies ou quelques pages de ces livres si courts qu’on ne fait plus guère.

J’oubliais de dire que le jour où la troupe dont faisait partie Aurélie a donné une représentation à Dammartin, j’ai conduit