Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/247

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avons la soirée et, de fait, Je pourrai toujours souper avec vous ces jours-là.

— Est-ce qu’il compte y dîner avec les autres ? pensa Eustache. Mais vous ne m’aviez point dit, demoiselle Goubard, que monsieur votre neveu était si…

— Si bel homme ? Oh ! oui, comme il a renforcé ! Dame, c’est que voilà sept ans que nous ne l’avions vu, ce pauvre Joseph ; et, depuis ce temps-là, il a passé bien de l’eau sous le pont…

— Et, à lui, bien du vin sous le nez, pensa le commis, ébloui de la face resplendissante de son neveu futur ; on ne se met pas la figure en couleur avec de l’eau rougie, et les bouteilles de maître Goubard vont danser le branle des morts avant la noce, et peut-être après…

— Allons dîner, papa doit s’impatienter ! dit Javotte en sortant de sa place. Ah ! je vais donc te donner le bras, Joseph !… Dire qu’autrefois j’étais la plus grande, quand j’avais douze ans et toi dix ; on m’appelait la maman… Mais comme je vais être fière au bras d’un arquebusier ! Tu me conduiras promener, n’est-ce pas ? Je sors si peu ; je ne puis pas y aller seule et, le dimanche soir, il faut que j’assiste au salut, parce que je suis de la confrérie de la Vierge, aux Saints-Innocents ; je tiens un ruban du guidon…

Ce caquetage de jeune fille, coupé à temps égaux par le pas sonnant du cavalier, cette forme gracieuse et légère qui sautillait enlacée à cette autre massive et roide, se perdirent bientôt dans l’ombre sourde des piliers qui bordent la rue de la Tonnellerie, et ne laissèrent aux yeux d’Eustache qu’un brouillard, et à ses oreilles qu’un bourdonnement.