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VII

MISÈRES ET CROIX

Nous avons jusqu’ici emboîté le pas à cette action bourgeoise, sans guère mettre à la conter plus de temps qu’elle n’en a mis à se poursuivre ; et maintenant, malgré notre respect, ou plutôt notre profonde estime pour l’observation des unités dans le roman même, nous nous voyons contraints de faire faire à l’une des trois un saut de quelques journées. Les tribulations d’Eustache, relativement à son neveu futur, seraient peut-être assez curieuses à rapporter, mais elles furent cependant moins amères qu’on ne le pourrait juger d’après l’exposition. Eustache se fut bientôt rassuré à l’endroit de sa fiancée : Javotte n’avait fait véritablement que garder une impression un peu trop fraîche de ses souvenirs d’enfance qui, dans une vie si peu accidentée que la sienne, prenaient une importance démesurée. Elle n’avait vu tout d’abord, dans l’arquebusier à cheval, que l’enfant joyeux et bruyant, autrefois le compagnon de ses jeux ; mais elle ne tarda pas à s’apercevoir que cet enfant avait grandi, qu’il avait pris d’autres allures, et elle devint plus réservée à son égard.

Quant au militaire, à part quelques familiarités d’habitude, il ne faisait point paraître envers sa jeune tante de blâmables intentions ; il était même de ces gens assez nombreux à qui les honnêtes femmes inspirent peu de désir ; et, pour le présent, il disait comme Tabarin, que la bouteille était sa mie. Les trois premiers jours de son arrivée, il n’avait pas quitté Javotte, et même il la conduisait le soir au Cours la Reine, accompagnée seulement de la grosse servante de la maison, au grand déplaisir d’Eustache. Mais cela ne dura point ; il ne tarda pas à s’ennuyer de sa compagnie et prit l’habitude de sortir seul tout le jour, ayant, il est vrai, l’attention de rentrer aux heures des repas.