Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Toutes les bouteilles se livraient à une sarabande éperdue et formaient les figures les plus gracieuses.

Les cachets verts représentaient les hommes, et les cachets rouges représentaient les femmes.

Il y avait même là un orchestre établi sur les planches à bouteilles.

Les bouteilles vides résonnaient comme des instruments à vent, les bouteilles cassées comme des cymbales et des triangles, et les bouteilles fêlées rendaient quelque chose de l’harmonie pénétrante des violons.

Le sergent, qui avait bu quelques chopines avant d’entreprendre l’expédition, ne voyant là que des bouteilles, se sentit fort rassuré, et se mit à danser lui-même par imitation.

Puis, de plus en plus encouragé par gaieté et le charme du spectacle, il ramassa une aimable bouteille à long goulot d’un bordeaux pâle, comme il paraissait, et soigneusement cachetée de rouge, et la pressa amoureusement sur son cœur.

Des rires frénétiques partirent de tous côtés : le sergent, intrigué, laissa tomber la bouteille, qui se brisa en mille morceaux.

La danse s’arrêta, des cris d’effroi se firent entendre dans tous les coins de la cave, et le sergent sentit ses cheveux se dresser en voyant que le vin répandu paraissait former une mare de sang.

Le corps d’une femme nue, dont les cheveux blonds se répandaient à terre et trempaient dans l’humidité, était étendu sous ses pieds.

Le sergent n’aurait pas eu peur du diable en personne, mais cette vue le remplit d’horreur ; songeant après tout qu’il avait à rendre compte de sa mission, il s’empara d’un cachet vert qui semblait ricaner devant lui, et s’écria :

— Au moins j’en aurai une !

Un ricanement immense lui répondit.

Cependant il avait regagné l’escalier, et, montrant la bouteille à ses camarades, il s’écria :