Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/294

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tard refleurir en France, je crois que cela ne serait point par l’imitation des Anglais ni d’aucun autre peuple, mais par un retour à l’esprit poétique en général, et en particulier à la littérature française des temps anciens. L’imitation ne conduira jamais la poésie d’une nation à son but définitif, et surtout l’imitation d’une littérature étrangère parvenue au plus grand développement intellectuel et moral dont elle est susceptible ; mais il suffit à chaque peuple de remonter à la source de sa poésie et à ses traditions populaires pour y distinguer et ce qui lui appartient en propre et ce qui lui appartient en commun avec les autres peuples. Ainsi l’inspiration religieuse est ouverte à tous, et toujours il en sort une poésie nouvelle, convenable à tous les esprits et à tous les temps : c’est ce qu’a compris Lamartine, dont les ouvrages annoncent à la France une nouvelle ère poétique, » etc.

Mais avions-nous, en effet, une littérature avant Malherbe ? observent quelques irrésolus, qui n’ont suivi de cours de littérature que celui de la Harpe. — Pour le vulgaire des lecteurs, non ! Pour ceux qui voudraient voir Rabelais et Montaigne mis en français moderne, pour ceux à qui le style de la Fontaine et de Molière paraît tant soit peu négligé, non ! Mais pour ces intrépides amateurs de poésie et de langue française que n’effraye pas un mot vieilli, que n’égaye pas une expression triviale ou naïve, que ne démontent point les oncques, les ainçois et les ores, oui ! pour les étrangers qui ont puisé tant de fois à cette source, oui !… Du reste, ils ne craignent point de le reconnaître[1], et rient bien fort de voir souvent nos écrivains s’accuser humblement d’avoir pris chez eux des idées qu’eux-mêmes avaient dérobées à nos ancêtres.

  1. Tous les critiques étrangers s’accordent sur ce point. Citons entre mille un passage d’une revue anglaise, rapporté tout récemment par le Mercure, et qui faisait partie d’un article où notre littérature était fort maltraitée : « Il serait injuste cependant de ne point reconnaître que ce fut aux Français que l’Europe dut sa première impulsion poétique, et que la littérature romane, qui distingue le génie de l’Europe moderne du génie classique de l’antiquité, naquit avec les trouveurs et les conteurs du nord de la France, les jongleurs et les ménestrels de Provence.