Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/297

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n’était pas propre à la haute poésie, et les savants se hâtèrent de profiter de cet arrêt pour prétendre qu’on ne devait plus la traiter qu’en vers latins et en vers grecs.

Quant à la poésie populaire, grâce à Villon et à Marot, elle avait marché de front avec la prose illustrée par les Joinville, les Froissart et les Rabelais, mais, Marot éteint, son école n’était pas de taille à le continuer : ce fut elle cependant qui opposa à Ronsard la plus sérieuse résistance, et certes, bien qu’elle ne comptât plus d’hommes supérieurs, elle était assez forte sur l’épigramme : la tenaille de Mellin[1], qui pinçait si fort Ronsard au milieu de sa gloire, a fait proverbe.

Je ne sais si le peu de phrases que je viens de hasarder suffit pour montrer la littérature d’alors dans cet état d’interrègne qui suit la mort d’un grand génie, ou la fin d’une brillante époque littéraire, comme cela s’est vu plusieurs fois depuis ; si l’on se représente bien le troupeau des écrivains du second ordre se tournant inquiets à droite et à gauche et cherchant un guide : les uns fidèles à la mémoire des grands hommes qui ne sont plus, et laissant dans les rangs une place pour leur ombre ; les autres tourmentés d’un vague désir d’innovation qui se produit en essais ridicules ; les plus sages faisant des théories et des traductions… Tout à coup un homme apparaît, à la voix forte, et dépassant la foule de la tête : celle-ci se sépare en deux partis, la lutte s’engage, et le géant finit par triompher, jusqu’à ce qu’un plus adroit lui saute sur les épaules et soit seul proclamé très-grand.

Mais n’anticipons pas : nous sommes en 1549, et à peu de mois de distance apparaissent la Défense et Illustration de la Langue française[2], et les premières Odes pindariques de Pierre de Ronsard.

La Défense de la langue française, par J. du Bellay, l’un des

  1. Mellin de Saint-Gelais.
  2. Par I. D. B. A. (Joachim du Bellay). Paris, Arnoul Angelier, 1549. Le privilége date de 1548.