Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/296

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forte, aussi variée dans ses éléments, et qui ne s’étonnera de la voir tout à coup renversée, presque sans combat, par une poignée de novateurs qui prétendaient ressusciter la Rome morte depuis seize cents ans, la Rome romaine, et la ramener victorieuse, avec ses costumes, ses formes et ses dieux, chez un peuple du Nord, à moitié composé de nations germaniques, et dans une société toute chrétienne ? Ces novateurs, c’étaient Ronsard et les poëtes de son école ; le mouvement imprimé par eux aux lettres s’est continué jusqu’à nos jours.

Il serait trop long de nous occuper à faire l’histoire de la haute poésie en France, car elle était vraiment en décadence au siècle de Ronsard ; flétrie dans ses germes, morte sans avoir acquis le développement auquel elle semblait destinée ; tout cela, parce qu’elle n’avait trouvé pour l’employer que des poëtes de cour qui n’en tiraient que des chants de fêtes, d’adulation et de fade galanterie ; tout cela faute d’hommes de génie qui sussent la comprendre et en mettre en œuvre les riches matériaux.

Ces hommes de génie se sont rencontrés cependant chez les étrangers, et l’Italie surtout nous doit ses plus grands poëtes du moyen âge ; mais, chez nous, à quoi avaient abouti les hautes promesses des xiie et xiiie siècles ? À je ne sais quelle poésie ridicule, où la contrainte métrique, ou des tours de force en fait de rime tenaient lieu de couleur et de poésie ; à de fades et obscurs poëmes allégoriques, à des légendes lourdes et diffuses, à d’arides récits historiques rimés ; tout cela recouvert d’un langage poétique plus vieux de cent ans que la prose et le langage usuel, car les rimeurs d’alors imitaient si servilement les poëtes qui les avaient précédés, qu’ils en conservaient même la langue surannée. Aussi tout le monde s’était dégoûté de la poésie dans les genres sérieux, et l’on ne s’occupait plus qu’à traduire les poëmes et romans du xiie siècle dans cette prose qui croissait tous les jours en grâce et en vigueur. Enfin il fut décidé que la langue française