Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/319

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sard et de Corneille, mais rouillée seulement, faute d’avoir servi.

Ronsard mort, après toute une vie de triomphes incontestés, ses disciples, tels que les généraux d’Alexandre, se partagèrent tout son empire, et achevèrent paisiblement d’asservir ce monde littéraire, dont certainement sans lui ils n’eussent pas fait la conquête. Mais, pour en conserver longtemps la possession, il eût fallu, ou qu’eux-mêmes ne fussent pas aussi secondaires qu’ils étaient, ou qu’un maître nouveau étendît sur tous ces petits souverains une main révérée et protectrice. Cela ne fut pas ; et dès lors on dut prévoir, aux divisions qui éclatèrent, aux prétentions qui surgirent, à la froideur et à l’hésitation du public envers les œuvres nouvelles, l’imminence d’une révolution analogue à celle de 1549, dont le grand souvenir de Ronsard, qui survivait encore craint des uns et vénéré du plus grand nombre, pouvait seul retarder l’explosion de quelques années.

Enfin Malherbe vint ! et la lutte commença. Certes, il était alors beaucoup plus aisé que du temps de Ronsard et de du Bellay de fonder en France une littérature originale : la langue poétique était toute faite grâce à eux, et, bien que nous nous soyons élevé contre la poésie antique substituée par eux à une poésie du moyen âge, nous ne pensons pas que cela eût nui à un homme de génie, à un véritable réformateur venu immédiatement après eux ; cet homme de génie ne se présenta pas : de là tout le mal ; le mouvement imprimé dans le sens classique, qui eût pu même être de quelque utilité comme secondaire, fut pernicieux, parce qu’il domina tout : la réforme prétendue de Malherbe ne consista absolument qu’à le régulariser, et c’est de cette opération qu’il a tiré toute sa gloire[1].

On sentait bien, dès ce temps-là, combien cette réforme annoncée si pompeusement était mesquine et conçue d’après des

  1. Il ne s’agit dans tout ceci que de principes généraux. Nous avançons que le système classique a été fatal aux auteurs des deux siècles derniers, sans porter, du reste, aucune atteinte à leur gloire et au mérite de leurs écrits.