Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/320

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vues étroites. Régnier surtout, Régnier, poëte d’une tout autre force que Malherbe, et qui n’eut que le tort d’être trop modeste, et de se contenter d’exceller dans un genre à lui, sans se mettre à la tête d’aucune école, tance celle de Malherbe avec une sorte de mépris :


Cependant, leur savoir ne s’étend seulement
Qu’à regratter un mot douteux au jugement ;
Prendre garde qu’un qui ne heurte une diphthongue.
Épier si des vers la rime est brève ou longue,
Ou bien si la voyelle, à l’autre s’unissant,
Ne rend point à l’oreille un vers trop languissant,
Et laissent sur le verd le noble de l’ouvrage.

(Le Critique outré.)


Tout cela est très-vrai. Malherbe réformait en grammairien, en éplucheur de mots, et non pas en poëte, et, malgré toutes ses invectives contre Ronsard, il ne songeait pas même qu’il y eût à sortir du chemin qu’avaient frayé les poëtes de la Pléiade, ni par un retour à la vieille littérature nationale, ni par la création d’une littérature nouvelle, fondée sur les mœurs et les besoins du temps, ce qui, dans ces deux cas, eût probablement amené à un même résultat. Toute sa prétention, à lui, fut de purifier le fleuve qui coulait du limon que roulaient ses ondes, ce qu’il ne put faire sans lui enlever aussi en partie l’or et les germes précieux qui s’y trouvaient mêlés : aussi voyez ce qu’a été la poésie après lui : je dis la poésie.

L’art, toujours l’art, froid, calculé, jamais de douce rêverie, jamais de véritable sentiment religieux, rien que la nature ait immédiatement inspiré : le correct, le beau exclusivement ; une noblesse uniforme de pensées et d’expression ; c’est Midas qui a le don de changer en or tout ce qu’il touche. Décidément, le branle est donné à la poésie classique : la Fontaine seul y résistera ; aussi Boileau l’oubliera-t-il dans son Art poétique.