Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/335

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De temps en temps, une grande voiture, dite panier à salade venait chercher quelques-uns des prisonniers qui n’étaient que prévenus, et les transportait au Palais de Justice, devant le juge d’instruction. Je dus moi-même y comparaître deux fois. C’était alors une journée entière perdue ; car, arrivé à la Préfecture, il fallait attendre son tour dans une grande salle remplie de monde, qu’on appelait, je crois, la souricière. Je ne puis m’empêcher de protester ici contre la confusion qui se faisait alors des diverses sortes de détenus. Je pense que cela ne provenait, d’ailleurs, que d’un encombrement momentané.

Après ma dernière entrevue avec le juge, ma liberté ne dépendait plus que d’une décision de la chambre du conseil. Il fut déclaré qu’il n’y avait lieu à suivre, et dès lors je n’avais plus même à défendre mon innocence. Je dînais fort gaiement avec plusieurs de mes nouveaux amis, lorsque j’entendis crier mon nom du bas de l’escalier, avec ces mots : Armes et bagages ! qui signifient : « En liberté. » La prison m’était devenue si agréable, que je demandai à rester jusqu’au lendemain. Mais il fallait partir. Je voulus du moins finir le dîner ; cela ne se pouvait pas. Je faillis donner le spectacle d’un prisonnier mis de force à la porte de la prison. Il était cinq heures. L’un des convives me reconduisit jusqu’à la porte, et m’embrassa, me promettant de venir me voir en sortant de prison. Il avait, lui, deux ou trois mois à faire encore. C’était le malheureux Gallois, que je ne revis plus, car il fut tué en duel le lendemain de sa mise en liberté.