Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/337

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gnorais qu’au 1er du mois on avait changé l’heure des départs de Strasbourg. Il fallait attendre jusqu’à trois heures et demie.

Je redescends la rue Hauteville. Je rencontre un flâneur que je n’aurais pas reconnu si je n’eusse été désœuvré, et qui, après les premiers mots sur la pluie et le beau temps, se met à ouvrir une discussion touchant un point de philosophie. Au milieu de mes arguments en réplique, je manque l’omnibus de trois heures. C’était sur le boulevard de Montmartre que cela se passait. Le plus simple était d’aller prendre un verre d’absinthe au café Vachette et de dîner ensuite tranquillement chez Désiré et Baurain.

La politique des journaux fut bientôt lue, et je me mis à effeuiller négligemment la Revue Britannique. L’intérêt de quelques pages, traduites de Charles Dickens, me porta à lire tout l’article intitulé : La Clef de la rue.

Qu’ils sont heureux, les Anglais de pouvoir écrire et lire des chapitres d’observation dénués de tout alliage d’invention romanesque ! À Paris, on nous demanderait que cela fût semé d’anecdotes et d’histoires sentimentales, — se terminant soit par une mort, soit par un mariage. L’intelligence réaliste de nos voisins se contente du vrai absolu.

En effet, le roman rendra-t-il jamais l’effet des combinaisons bizarres de la vie ! Vous inventez l’homme, ne sachant pas l’observer. Quels sont les romans préférables aux histoires comiques, ou tragiques d’un journal de tribunaux ?

Cicéron critiquait un orateur prolixe qui, ayant à dire que son client s’était embarqué, s’exprimait ainsi : « Il se lève, — il s’habille, — il ouvre sa porte, — il met le pied hors du seuil, — il suit à droite la voie Flaminia, — pour gagner la place des Thermes », etc., etc.

On se demande si ce voyageur arrivera jamais au port ; mais déjà il vous intéresse, et, loin de trouver l’avocat prolixe, j’aurais exigé le portrait du client, la description de sa maison et la physionomie des rues ; j’aurais voulu connaître même