Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/352

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heures du matin. Avant d’entrer dans l’établissement, mon ami murmura cette chanson colorée :


À la Grand’Pinte, quand le vent
Fait grincer l’enseigne en fer-blanc
Alors qu’il gèle,
Dans la cuisine, on voit briller
Toujours un tronc d’arbre au foyer,
Flamme éternelle,

Où rôtissent en chapelets,
Oisons, canards, dindons, poulets,
Au tournebroche !
Et puis le soleil jaune d’or,
Sur les casseroles encor,
Darde et s’accroche !


Mais ne parlons pas du soleil, il est minuit passé.

Les tables du rôtisseur sont peu nombreuses ; elles étaient toutes occupées.

— Allons ailleurs, dis-je.

— Mais, auparavant, répondit mon ami, consommons un petit bouillon de poulet. Cela ne peut suffire à nous ôter l’appétit, et, chez Véry, cela coûterait un franc ; ici c’est dix centimes. Tu conçois qu’un rôtisseur qui débite par jour cinq cents poulets en doit conserver les abatis, les cœurs et les foies, qu’il lui suffit d’entasser dans une marmite pour faire d’excellents consommés.

Les deux bols nous furent servis sur le comptoir et le bouillon était parfait. Ensuite on suce quelques écrevisses de Strasbourg grosses comme de petits homards. Les moules, la friture, et les volailles découpées jusque dans les prix les plus modestes, composent le souper ordinaire des habitués.

Aucune table ne se dégarnissait. Une femme d’un aspect majestueux, type habillé des néréides de Rubens ou des bacchantes de Jordaens, donnait, près de nous, des conseils à un jeune homme.