Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/353

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Ce dernier, élégamment vêtu, mince de taille, et dont la pâleur était relevée par de longs cheveux noirs et de petites moustaches soigneusement tordues et cirées aux pointes, écoutait avec déférence les avis de l’imposante matrone. On ne pouvait guère lui reprocher qu’une chemise prétentieuse à jabot de dentelle et à manchettes plissées, une cravate bleue et un gilet d’un rouge ardent croisé de lignes vertes. Sa chaîne de montre pouvait être en chrysocale, son épingle en strass du Rhin ; mais l’effet en était assez riche aux lumières.

— Vois-tu, muffeton, disait la dame, tu n’es pas fait pour ce métier-là, de vivre la nuit. Tu t’obstines, tu ne pourras pas ! Le bouillon de poulet te soutient, c’est vrai ; mais la liqueur t’abîme. Tu as des palpitations, et les pommettes rouges le matin. Tu as l’air fort, parce que tu es nerveux… Tu ferais mieux de dormir à cette heure-ci.

— De quoi ? observa le jeune homme avec cet accent des voyous parisiens qui semble un râle, et que crée l’usage précoce de l’eau-de-vie et de la pipe : est-ce qu’il ne faut pas que je fasse mon état ? C’est les chagrins qui me font boire : pourquoi est-ce que Gustine m’a trahi !

— Elle t’a trahi sans te trahir… C’est une baladeuse, voilà tout.

— Je te parle comme à ma mère : si elle revient, c’est fini, je me range. Je prends un fonds de bimbeloterie. Je l’épouse.

— Encore une bêtise !

— Puisqu’elle m’a dit que je n’avais pas d’établissement !

— Ah ! jeune homme, cette femme-là, ça sera ta mort.

— Elle ne sait pas encore la roulée qu’elle va recevoir !

— Tais-toi donc ! dit la femme-Rubens en souriant, ce n’est pas toi qui es capable de corriger une femme !

Je n’en voulus pas entendre davantage. Jean-Jacques avait bien raison de s’en prendre aux mœurs des villes d’un principe de corruption qui s’étend plus tard jusqu’aux campagnes. À travers tout cela, cependant, n’est-il pas triste d’entendre retentir l’accent de l’amour, la voix pénétrée d’émotion,