Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/358

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près de la rue de la Reynie… Mais autant vaudrait la Maison d’or.

— En voilà d’autres, dis-je en tournant les yeux vers cette longue ligne de maisons régulières qui bordent la partie du marché consacrée aux choux.

— Y penses-tu ? Ce sont les charniers. C’est là que des poëtes en habit de soie, épée et manchettes, venaient souper, au siècle dernier, les jours où leur manquaient les invitations du grand monde. Puis, après avoir consommé l’ordinaire de six sous, ils lisaient leurs vers par habitude aux rouliers, aux maraîchers et aux forts : « Jamais je n’ai eu tant de succès, disait Robbé, qu’auprès de ce public formé aux arts par les mains de la nature ! »

Les hôtes poétiques de ces caves voûtées s’étendaient, après le souper, sur les bancs ou sur les tables, et il fallait, le lendemain matin, qu’ils se fissent poudrer à deux sols par quelque merlan en plein air, et repriser par les ravaudeuses, pour aller ensuite briller aux petits levers de madame de Luxembourg, de mademoiselle Hus ou de la comtesse de Beauharnais.


XIV

BARATTE

Ces temps sont passés. — Les caves des charniers sont aujourd’hui restaurées, éclairées au gaz, la consommation y est propre, et il est défendu d’y dormir, soit sur les tables, soit dessous ; mais que de choux dans cette rue !… La rue parallèle de la Ferronnerie en est également remplie, et le cloître voisin de Sainte-Opportune en présente de véritables montagnes. La carotte et le navet appartiennent au même département.

— Voulez-vous des frisés, des milans, des cabus, mes petits amours ? nous crie une marchande.

En traversant la place, nous admirons des potirons monstrueux. On nous offre des saucisses et des boudins, du café à