Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/360

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dreau ou quelque poisson qu’on obtient naturellement de première main, du bordeaux, un dessert de fruit premier choix, et vous conviendrez qu’on soupe fort bien à la Halle. — C’est une affaire de sept francs par personne environ.

On ne comprend guère que tous ces hommes en blouse, mélangés du plus beau sexe de la banlieue en cornettes et en marmottes, se nourrissent si convenablement ; mais, je l’ai dit, ce sont de faux paysans et des millionnaires méconnaissables. Les facteurs de la Halle, les gros marchands de légumes, de viande, de beurre et de marée sont des gens qui savent se traiter comme il faut, et les forts eux-mêmes ressemblent un peu à ces braves portefaix de Marseille qui soutiennent de leurs capitaux les maisons qui les font travailler.


XV

PAUL NIQUET

Le souper fait, nous allâmes prendre le café et le pousse-café à l’établissement célèbre de Paul Niquet. — Il y a là évidemment moins de millionnaires que chez Baratte… Les murs, très-élevés et surmontés d’un vitrage, sont entièrement nus. Les pieds posent sur des dalles humides. Un comptoir immense partage en deux la salle, et sept ou huit chiffonnières, habituées de l’endroit, font tapisserie sur un banc opposé au comptoir. Le fond est occupé par une foule assez mêlée, où les disputes ne sont pas rares. Comme on ne peut pas à tout moment aller chercher la garde, le vieux Niquet, si célèbre sous l’Empire par ses cerises à l’eau-de-vie, avait fait établir des conduits d’eau très utiles dans le cas d’une rixe violente.

On les lâche de plusieurs points de la salle sur les combattants, et, si cela ni les calme pas, on lève un certain appareil qui bouche hermétiquement l’issue. Alors, l’eau monte, et les plus furieux demandent grâce ; — c’est du moins ce qui se passait autrefois.