Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/392

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Puis c’est une population à part, classée, il est vrai, selon les conditions, mais entièrement locale.

Il est très-rare qu’un habitant de Saint-Germain vienne à Paris ; certains d’entre eux ne font pas ce voyage une fois en dix ans. Les familles étrangères vivent aussi là entre elles avec la familiarité qui existe dans les villes d’eaux. Et ce n’est pas l’eau, c’est l’air pur que l’on vient chercher à Saint-Germain. Il y a des maisons de santé charmantes, habitées par des gens très-bien portants, mais fatigués du bourdonnement et du mouvement insensés de la capitale. La garnison, qui était autrefois de gardes du corps, et qui est aujourd’hui de cuirassiers de la garde, n’est pas étrangère peut-être à la résidence de quelques jeunes beautés, filles ou veuves, qu’on rencontre à cheval ou à âne sur la route des Loges ou du château du Val. — Le soir, les boutiques s’éclairent rue de Paris et rue au Pain ; on cause d’abord sur la porte, on rit, on chante même. — L’accent des voix est fort distinct de celui de Paris ; les jeunes filles ont la voix pure et bien timbrée, comme dans les pays de montagnes. En passant dans la rue de l’Église, j’entendis chanter au fond d’un petit café. J’y voyais entrer beaucoup de monde et surtout des femmes. En traversant la boutique, je me trouvai dans une grande salle toute pavoisée de drapeaux et de guirlandes avec les insignes maçonniques et les inscriptions d’usage. — J’ai fait partie autrefois des Joyeux et des Bergers de Syracuse ; je n’étais donc pas embarrassé de me présenter.

Le bureau était majestueusement établi sous un dais orné de draperies tricolores, et le président me fit le salut cordial qui se doit à un visiteur. — Je me rappellai qu’aux Bergers de Syracuse, on ouvrait généralement la séance par ce toast : « Aux Polonais !… et à ces dames ! » Aujourd’hui, les Polonais sont un peu oubliés. — Du reste, j’ai entendu de fort jolies chansons dans cette réunion, mais surtout des voix de femmes ravissantes. Le Conservatoire n’a pas terni l’éclat de ces intonations pures et naturelles, de ces trilles empruntés