Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/393

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au chant du rossignol ou du merle ; ou n’a pas faussé avec les leçons du solfége ces gosiers si frais et si riches en mélodie. Comment se fait-il que ces femmes chantent si juste ? Et pourtant tout musicien de profession pourrait dire chacune d’elles : « Vous ne savez pas chanter. » Rien n’est amusant comme les chansons que les jeunes filles composent elles-mêmes, et qui font, en général, allusion aux trahisons des amoureux ou aux caprices de l’autre sexe. Quelquefois, il y a des traits de raillerie locale qui échappent au visiteur étranger. Souvent un jeune homme et une jeune fille se répondent comme Daphnis et Chloé, comme Myrtil et Sylvie. En m’attachant à cette pensée, je me suis trouvé tout ému, tout attendri, comme à un souvenir de la jeunesse… C’est qu’il y a un âge — âge critique, comme on le dit, pour les femmes, — où les souvenirs renaissent si vivement, que certains dessins oubliés reparaissent sous la trame froissée de la vie ! On n’est pas assez vieux pour ne plus songer à l’amour, on n’est plus assez jeune pour penser toujours à plaire. — Cette phrase, je l’avoue, est un peu Directoire. Ce qui l’amène sous ma plume, c’est que j’ai entendu un ancien jeune homme qui, ayant décroché du mur une guitare, exécuta admirablement la vieille romance de Garat :


 
Plaisir d’amour ne dure qu’un moment…
Chagrin d’amour dure toute la vie !


Il avait les cheveux frisés à l’incroyable, une cravate blanche, une épingle de diamant sur son jabot, et des bagues à lacs d’amour. Ses mains étaient blanches et fines comme celles d’une jolie femme. Et, si j’avais été femme, je l’aurais aimé, malgré son âge ; car sa voix allait au cœur.

Ce brave homme m’a rappelé mon père, qui, jeune encore, chantait avec goût des airs italiens, à son retour de Pologne. Il y avait perdu sa femme, et ne pouvait s’empêcher de pleurer, en s’accompagnant de la guitare, aux paroles d’une ro-