Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tin, sont les trois villes qui, non loin de Paris, correspondent à mes souvenirs les plus chers. La mémoire de vieux parents morts se rattache mélancoliquement à la pensée de plusieurs jeunes filles dont l’amour m’a fait poëte, ou dont les dédains m’ont fait parfois ironique et songeur.

J’ai appris le style en écrivant des lettres de tendresse ou d’amitié, et, quand je relis celles qui ont été conservées, j’y retrouve fortement tracée l’empreinte de mes lectures d’alors, surtout de Diderot, de Rousseau et de Sénancourt. Ce que je viens de dire expliquera le sentiment dans lequel ont été écrites les pages suivantes. Je m’étais repris à aimer Saint-Germain par ces derniers beaux jours d’automne. Je m’établis à l’Ange Gardien, et, dans les intervalles de mes promenades, j’ai tracé quelques souvenirs que je n’ose intituler Mémoires, et qui seraient plutôt conçus selon le plan des promenades solitaires de Jean-Jacques. Je les terminerai dans le pays même où j’ai été élevé, et où il est mort.


IV

JUVENILIA

Le hasard a joué un si grand rôle dans ma vie, que je ne m’étonne pas en songeant à la façon singulière dont il a présidé à ma naissance. C’est, dira-t-on, l’histoire de tout le monde. Mais tout le monde n’a pas occasion de raconter son histoire.

Et, si chacun le faisait, il n’y aurait pas grand mal : l’expérience de chacun est le trésor de tous.

Un jour, un cheval s’échappa d’une pelouse verte qui bordait l’Aisne, et disparut bientôt entre les halliers ; il gagna la région sombre des arbres et se perdit dans la forêt de Compiègne. Cela se passait vers 1770.

Ce n’est pas un accident rare qu’un cheval échappé à travers une forêt. Et cependant, je n’ai guère d’autre titre à l’exis-