Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/404

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dont les chemins de fer ont détourné la circulation et la vie. Elles s’asseyent tristement sur les débris de leur fortune passée, et se concentrent en elles-mêmes, jetant un regard désenchanté sur les merveilles d’une civilisation qui les condamne ou les oublie. Saint-Germain m’a fait penser à Senlis, et, comme c’était un mardi, j’ai pris l’omnibus de Pontoise, qui ne circule plus que les jours de marché. J’aime à contrarier les chemins de fer, et Alexandre Dumas, que j’accuse d’avoir un peu brodé dernièrement sur mes folies de jeunesse, a dit avec vérité que j’avais dépensé deux cents francs et mis huit jours pour l’aller voir à Bruxelles, par l’ancienne route de Flandre, et en dépit du chemin de fer du Nord.

Non, je n’admettrai jamais, quelles que soient les difficultés des terrains, que l’on fasse huit lieues, ou, si vous voulez, trente-deux kilomètres, pour aller à Poissy en évitant Saint-Germain, et trente lieues pour aller à Compiègne en évitant Senlis. Ce n’est qu’en France que l’on peut rencontrer des chemins si contrefaits. Quand le chemin belge perçait douze montagnes pour arriver à Spa, nous étions en admiration devant ces faciles contours de notre principale artère, qui suivent tour à tour les lits capricieux de la Seine et de l’Oise, pour éviter une ou deux pentes de l’ancienne route du Nord.

Pontoise est encore une de ces villes, situées sur des hauteurs, qui me plaisent par leur aspect patriarcal, leurs promenades, leurs points de vue, et la conservation de certaines mœurs, qu’on ne rencontre plus ailleurs. On y joue encore dans les rues, on cause, on chante le soir sur le devant des portes ; les restaurateurs sont des pâtissiers ; on trouve chez eux quelque chose de la vie de famille ; les rues, en escaliers, sont amusantes à parcourir ; la promenade tracée sur les anciennes tours domine la magnifique vallée où coule l’Oise. De jolies femmes et de beaux enfants s’y promènent. On surprend en passant, on envie tout ce petit monde paisible qui vit à part dans ses vieilles maisons, sous ses beaux arbres, au milieu de ces beaux aspects et de cet air pur. L’église est belle et d’une